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« La science fournit le récit le plus complet pour expliquer l’apparition de la vie »

Dernière mise à jour : 4 nov. 2023

Dans son dernier ouvrage, le physicien Guido Tonelli, qui a contribué à la découverte du boson de Higgs, relate sept moments décisifs de l’histoire de l’Univers, « faite d’aléas positifs et négatifs ».


Propos recueillis par David Larousserie

Le 28 mai 2022

© Le Monde

Guido Tonelli, à Milan, en mai 2019. ADOLFO FREDIANI

Professeur de physique à l’université de Pise (Italie), Guido Tonelli a participé à l’aventure de la découverte du boson dit de Higgs, au Centre européen pour la recherche nucléaire (CERN). Il était en effet le porte-parole de l’expérimentation du solénoïde compact pour muons (Compact Muon Solenoid, CMS), l’une des deux expériences installées le long de l’accélérateur de particules LHC, qui a découvert, en 2012, la dernière particule manquante au tableau de chasse.


Dans Genèse (Dunod, 256 pages, 19,90 euros), le chercheur italien raconte en sept étapes comment la vie est apparue depuis le vide initial jusqu’aux êtres humains, en passant par la matière, la lumière, les étoiles, les galaxies… Pour expliquer certaines des étapes les plus délicates de cette magnifique histoire, Guido Tonelli recourt à des images et des métaphores empruntées aux mondes de l’art, de la mythologie ou de la religion.


Pourquoi avoir voulu écrire un récit des origines, telles qu’elles sont comprises par la science contemporaine ?


Je discute beaucoup avec des religieux, et j’ai réalisé à leur contact, mais aussi en étudiant l’histoire, l’importance de disposer de récits des origines. Ces connaissances de l’enchaînement de chaque maillon sont indispensables pour l’humanité. Cela nous rend plus forts. Et la science fournit le récit le plus complet et le plus détaillé pour expliquer l’apparition de la matière, des étoiles, des planètes, de la vie…


L’Univers suit des règles que la science a peu à peu découvertes. Mais attention, les scientifiques ne doivent pas être arrogants vis-à-vis de la religion. Foi et raison sont deux choses différentes. Les deux apportent des récits importants pour les hommes en les rassurant.


Comment peut-on être rassuré de découvrir, en vous lisant, des jets de particules destructeurs, des explosions d’étoiles, des trous noirs qui avalent tout, une gigantesque dilatation de l’espace… ?


Oui, c’est vrai, certaines parties de l’Univers sont terribles, chaotiques, pas rassurantes du tout. Mais là où nous sommes, c’est plutôt tranquille : le trou noir au cœur de notre galaxie est loin et pas très actif. Je trouve qu’avoir conscience que tout cela est possible rassure. J’apprécie davantage la vie en ayant toutes ces connaissances. Mais nous n’avons pas encore suffisamment discuté des conséquences morales et philosophiques des nouvelles conceptions apportées par la science moderne.


Que voulez-vous dire ?


Au XVIIe siècle, les découvertes de Galilée et de Newton ainsi que la méthode expérimentale avaient été une révolution, influençant ensuite toute notre culture : nous sommes en quelque sorte les produits de ces ruptures. Ensuite, la relativité générale et la mécanique quantique ont constitué un autre bouleversement. Elles ne permettent pas seulement des progrès techniques incroyables, elles offrent un changement de point de vue, de nouvelles visions du monde. On peut voir des connexions chez des artistes et des intellectuels comme Freud, Pirandello, Schönberg, Kokoschka.


Plus récemment, la découverte du boson de Higgs a encore apporté de nouveaux changements. Nous réalisons grâce à lui que l’Univers matériel est fragile, et que cette fragilité n’est donc pas le propre de l’homme. Un petit écart dans les propriétés initiales et la matière ordinaire dont nous sommes constitués n’aurait pas existé. Ces implications mériteraient d’être plus discutées.


Votre livre fourmille de ces hasards, de ces coïncidences. Est-ce que ça ne plaide pas pour des interprétations finalistes et l’existence d’une intelligence supérieure seule à même de réaliser cette perfection ?


C’est le contraire ! Les créationnistes n’aiment pas mon livre. C’est vrai que l’horloge a l’air bien réglée, et que la mécanique tourne fantastiquement bien. Et donc on peut penser à cette hypothèse créationniste. Mais on peut dire aussi que si ça avait été différent, on ne serait pas là pour en parler et discuter de chaque étape. Les créationnistes résistent à l’idée que les lois du hasard dominent cette histoire, faite d’aléas positifs et négatifs.


Les sept jours qui découpent le livre correspondent à sept bouleversements qui créent de nouveaux équilibres. A chaque fois, un détail a fait la différence. J’aime bien plaisanter en disant qu’on peut même démontrer qu’il ne peut y avoir de dessein intelligent derrière ces créations. Il peut très bien y avoir une intelligence extérieure, mais alors la question est de savoir à quoi elle servirait. En effet, si elle intervient dans la marche de l’Univers, alors un physicien le verra aussitôt, car cela contredirait les règles qui décrivent si bien le scénario. Il est difficile d’imaginer, dans une approche religieuse, une divinité qui reste inactive.


Le titre, « Genèse », le découpage en sept jours pour décrire l’origine de l’Univers et de la vie, des allusions bibliques ou mythologiques… Pourquoi ces références, pas très scientifiques ?


Pour moi, ces références culturelles permettent de saisir certains passages difficiles. J’utilise aussi l’art, par exemple, pour faire passer l’idée de symétrie, si importante en physique. J’ai aussi osé une analogie entre les messages écrits glissés dans les interstices du mur des Lamentations à Jérusalem et l’image du fond diffus cosmologique prise par le satellite Planck, qui correspond à la première lumière visible et à ce qu’était l’Univers trois cent quatre-vingt mille ans après ses débuts. Je trouve cette analogie très claire en fait : elle exprime que des petits secrets se cachent dans les moindres « trous » de cette image, comme les petits rouleaux de papier à Jérusalem.


Mais, plus profondément, je crois qu’il ne faut pas séparer la science de la culture générale. Il faut vraiment travailler à ce que la science retrouve sa place dans la culture. Elle n’est pas seulement là pour produire des techniques. Evidemment, en tant qu’Italien, héritier de Vinci ou de Galilée, c’est pour moi évident. A l’inverse, il ne faut pas non plus penser que la science donnera seule des réponses. Je rêve de reconstituer une unité dans la culture.


Pour votre histoire, vous êtes obligé de commencer par le commencement. Qu’y avait-il donc au début ?


Il faut imaginer qu’au début, il n’y a rien. C’est le vide. Mais le vide n’est pas le néant, contrairement à ce que notre culture nous a inculqué. Ce vide, un des nombreux concepts magnifiques de cette histoire, est, pour le physicien, un état naturel, matériel, dont toutes les propriétés, énergie, charges… sont nulles, en moyenne. Il peut donc y avoir des fluctuations non nulles de ces grandeurs et elles peuvent même être énormes, mais disparaître aussitôt.


L’histoire de notre Univers commence par une fluctuation qui donne lieu à ce concept magnifique d’inflation, faisant passer notre Univers d’une taille microscopique à celle d’un ballon de football en un instant. Néanmoins, ce concept reste à confirmer par des expériences qui en cherchent les traces fossiles. Finalement, l’Univers est un état du vide qui a subi une métamorphose. Le vide ne s’est pas retiré et nous en sommes issus. Les recherches continuent aussi sur la particule du boson de Higgs, découvert en 2012 par deux expériences.


Pourquoi continuer les recherches ?


Il y a des centaines d’études en cours sur les données prises depuis le lancement du LHC, car nous cherchons à savoir s’il y a des différences entre ces résultats expérimentaux et la théorie du modèle standard. Certaines observations ne collent pas avec la théorie, mais on doit s’assurer que c’est bien un signal et pas seulement une variation due au hasard. Le LHC, amélioré, a aussi redémarré récemment pour poursuivre des mesures de précision des propriétés du boson de Higgs, poussées le plus loin possible, dans l’espoir de trouver ces anomalies. D’ici quelques années, nous aurons clarifié la situation. Mais on pourrait trouver autre chose.


Quoi donc ?


Nous cherchons, pour expliquer l’inflation, une particule assez proche du Higgs. Ça pourrait d’ailleurs être le Higgs lui-même, même si on n’y croit plus trop. Cette particule fantôme pourrait être découverte avec le LHC, mais nous sommes un peu comme des navigateurs perdus qui savent qu’il y a une île où aborder, mais pas dans quelle direction elle est. Nous ignorons également la masse qu’elle peut avoir. Il faudra du courage et un peu de folie pour la découvrir. Ce sera plus important que le Higgs !


La folie passe-t-elle par la construction d’un nouvel accélérateur de 100 kilomètres de long, souterrain, sept fois plus puissant que le LHC ?


Si le LHC ne trouve rien, il faudra ce genre de machines en effet. Le projet en Europe, au CERN, existe et consisterait à faire entrer des électrons en collision vers 2040, puis dans le même tunnel on construirait un successeur pour percuter des protons entre eux, comme au LHC actuellement. La Chine affiche la même ambition, nous sommes donc peut-être à la veille d’un changement de hiérarchie dans la science mondiale. Pour l’instant, l’Europe garde le leadership mais n’a pas pleinement conscience de son rôle. Or les pays qui dominent sont ceux qui investissent dans la recherche et le savoir.


Le rêve est de répondre aux grandes questions, comme l’inflation, la matière noire ou l’énergie noire… Je suis optimiste sur le fait que, même divisée, l’Europe trouvera un terrain d’entente pour faire ces choix.


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